Longtemps perçu comme le parent pauvre de la communication, le BtoB est en pleine mutation. Aujourd’hui, même dans l’univers professionnel, l’émotion, l’expérience et la créativité s’imposent comme des leviers incontournables pour se démarquer et créer du lien.
Mais communiquer en BtoB, c’est aussi naviguer dans un écosystème complexe : cibles multiples et expertes, cycles de décision longs, enjeux de performance mesurables, parcours multicanaux… Un terrain qui exige une double compétence, à la fois stratégique et créative, où la connaissance fine des métiers côtoie l’audace conceptuelle.
Pour explorer ces enjeux, nous avons réuni Amandine Deberdt, Directrice Conseil et Sébastien Duda, Directeur de création de l’agence dps. Ensemble, ils accompagnent au quotidien des marques comme Legrand, Thermor ou Giropharm dans leurs stratégies de communication BtoB. Dans cet entretien croisé, ils nous dévoilent leur vision de ce territoire exigeant : comment réinventer l’expérience des cibles professionnelles, comment faire dialoguer rationnel et émotionnel, et surtout, comment l’alliance du conseil et de la création permet de débloquer des problématiques client et de faire émerger des solutions innovantes.
Un dialogue sur les spécificités du BtoB, ses transformations à venir, et la manière dont une agence se positionne pour en faire un véritable territoire d’expression créative et d’impact relationnel.
#1 – Quelles sont, selon vous, les trois principales spécificités de cette cible qui transforment radicalement l’approche créative et conseil ?
A.D. Pour moi, il y a trois choses vraiment spécifiques au BtoB qui changent notre manière de travailler.
D’abord, le décideur et sa logique ROIste
En B2B, on ne parle pas à quelqu’un qui achète sur un coup de tête. On parle à un pro, qui cherche une solution concrète à un vrai besoin, avec un retour sur investissement clair. Donc notre com’ ne doit pas juste être jolie ou créative : elle doit convaincre. Montrer la preuve, l’expertise, la valeur ajoutée. L’émotion compte aussi, elle vient en soutien pour créer de la confiance, de la crédibilité.
Ensuite, le parcours d’achat.
Il est beaucoup plus long et plus complexe qu’en BtoC. Il y a plein d’étapes, plein de points de contact. Notre rôle, c’est de bien comprendre tout ce parcours, pour envoyer le bon message, au bon moment, à la bonne personne. Bref, être présents tout au long du chemin, sans se perdre.
Et enfin, les multiples parties prenantes.
En BtoB, on ne parle pas à une seule personne, mais souvent à tout un groupe de décideurs, chacun avec ses attentes et ses contraintes. Il faut donc adapter notre discours à chacun, mettre en avant les bénéfices qui comptent pour eux.

Amandine Deberdt, Directrice Conseil
S.D. Oui, complètement. Et pour rebondir sur ce que dit Amandine, je dirais qu’il y a trois points qui, côté création, changent tout :
1/La nécessité d’aller à l’essentiel. Les cibles BtoB ont peu de temps et trop de messages à filtrer. Si ce qu’on raconte n’est pas clair en trois secondes, c’est perdu. Donc la création doit simplifier sans appauvrir. Faire comprendre vite, et marquer fort.
2/L’émotion comme levier d’impact. Comme le disait Amandine, les cibles BtoB veulent de l’émotion — du vrai. Et c’est là que le storytelling joue un rôle clé. Pas comme un vernis de communication, mais comme une manière de donner du sens, de remettre de l’humain dans des sujets parfois froids. Raconter pourquoi ça compte, pas juste comment ça fonctionne. C’est ce qui transforme une information parfois technique en message qu’on retient.
3/La relation dans la durée. Le BtoB, c’est avant tout une histoire de confiance.
On ne cherche pas qu’à séduire, mais surtout à construire une crédibilité.
Et ça, ça passe par des marques cohérentes, qui assument une voix et qui créent de la valeur à chaque prise de parole. C’est ce qui permet à une marque BtoB d’exister pleinement — au-delà de son offre.

Sébastien Duda, Directeur de Création
#2 – Vous travaillez pour des clients comme Legrand, Thermor ou Giropharm. Qu’est-ce qui rend dps particulièrement légitime sur ces problématiques BtoB ? Quelle est votre vision de “l’impact relationnel » dans un contexte professionnel ?
A.D. L’agence est légitime sur les problématiques BtoB parce que nous ne nous contentons pas d’être des créatifs. Nous sommes d’abord des stratèges. Nous investissons beaucoup de temps à comprendre en profondeur les métiers de nos clients, leurs marchés, les enjeux de leurs distributeurs et les attentes de leurs clients finaux. Nous parlons le même langage qu’eux, ce qui nous permet de construire des solutions de communication pertinentes.
Ma vision de l’impact relationnel dans un contexte professionnel c’est la création d’une relation de confiance qui se crée entre une marque et sa cible BtoB. En tant qu’agence conseil, notre rôle est d’accompagner les marques à créer cet impact relationnel en pensant la cible BtoB avec ses particularités mais en ayant toujours en tête que derrière chaque décision pro il y a une personne qui a finalement une sensibilité et des émotions.
S.D. Je pense que notre légitimité vient surtout de notre manière d’aborder le BtoB.
On ne le traite pas comme un monde à part, déconnecté du réel.
Pour nous, l’impact relationnel, c’est avant tout une histoire de lien.
Même dans un contexte pro, la décision ne se joue pas que sur la rationalité — elle se joue sur la confiance, la crédibilité, la connivence.
Notre job, c’est de créer ça : des campagnes qui parlent juste, qui respectent l’intelligence de la cible, mais surtout qui arrivent à provoquer quelque chose.
Parce qu’au fond, même en BtoB, on s’adresse aussi à des gens, pas qu’à des fonctions.
#3 – Dans vos réalisations BtoB, comment articulez-vous les enjeux rationnels (ROI, performance, expertise technique) avec la dimension émotionnelle et la créativité ?
A.D. On commence toujours par le rationnel : les données, l’expertise technique, la performance. C’est le socle de notre message. Ensuite, la créativité vient sublimer et donner du sens à tout ça.
Elle n’est pas là pour faire joli, mais pour rendre le message mémorable. On utilise l’émotion pour humaniser la marque, pour créer de la confiance. Par exemple, pour Thermor, nous avons mis en place une tonalité, une façon de s’adresser aux installateurs pour que l’émotion et la proximité soient toujours présentes tout en trouvant les bons arguments rationnels pour convaincre le client du bénéfice qu’il peut tirer du service ou du produit.
C’est un juste équilibre à trouver.
S.D. Effectivement, tout part du rationnel, et l’émotion transforme une info en conviction. Notre rôle, c’est de rendre les choses techniques plus humaines, plus sensibles. La créativité n’est pas là pour enjoliver, elle est là pour donner du relief. C’est elle qui fait passer le message… et surtout, qui le fait rester.
#4 – L’alliance entre conseil et création est au cœur de votre proposition de valeur. Concrètement, comment se matérialise cette collaboration au quotidien sur un projet BtoB ? Comment vos deux expertises, combinées à celle du client, ont permis de débloquer une problématique client ou de faire émerger une solution innovante ?
S.D. Le duo conseil-création, c’est la base de notre façon de bosser.
On avance ensemble dès le début, on se nourrit mutuellement, on se challenge aussi beaucoup.
Et j’ajouterais qu’on n’est pas vraiment deux… mais trois.
Le planning stratégique vient compléter ce duo : il apporte la vision, la hauteur, la compréhension fine des audiences et des tendances.
À trois, on forme un vrai triangle d’équilibre : le conseil garde le cap business, le planning donne la direction, et la création transforme tout ça en idée.
C’est un ping-pong permanent, où chacun pousse l’autre à être meilleur.
Et quand le client s’intègre dans ce cercle-là, c’est là que naissent les campagnes les plus justes — celles qui font sens, et qui performent.
A.D. C’est cette friction positive qui nous permet de trouver des solutions qui sont à la fois percutantes et justes. L’objectif, c’est que la créativité soit toujours au service de la stratégie.
#5 – Vous positionnez l’expérience client comme un pilier de votre expertise. Comment définissez-vous l’expérience client en BtoB, où les parcours sont souvent complexes et multicanaux ?
A.D. Pour moi, l’expérience client en BtoB n’est pas juste un « plus », c’est le fondement de la fidélisation. Elle se définit comme l’ensemble des perceptions et des interactions qu’un client a avec l’entreprise, du premier contact jusqu’au service après-vente. C’est un parcours souvent long et complexe, qui se joue sur plusieurs canaux.
Notre rôle est de rendre ce parcours aussi fluide et rassurant que possible.
S.D. L’expérience client en BtoB, c’est avant tout une expérience de confiance.
Les parcours sont souvent longs, éclatés, avec plusieurs interlocuteurs, donc chaque point de contact compte.
Le rôle de la création, c’est de redonner de la cohérence, de l’émotion et du sens à ce parcours. Et pour ça, chaque message doit être pensé en fonction du support, du moment et de la cible à qui il s’adresse — c’est ce qui rend l’expérience fluide et cohérente.
En BtoB, la meilleure expérience, c’est celle qui rend les choses simples, utiles et valorisantes pour les clients.
#6 – Pouvez-vous nous partager un cas où vous avez redessiné l’expérience d’une cible BtoB (distributeurs, installateurs, prescripteurs…) ? Quels leviers avez-vous activés ?
A.D. Pour Thermor, nous avons travaillé une plateforme relationnelle pour définir la tonalité des prises de paroles de la marque à destination de leurs cibles professionnelles notamment les installateurs. Cela a permis à la marque d’avoir une approche spécifique auprès de sa cible BtoB et d’adresser des emails pertinents avec un ton qui allie toujours la proximité, l’accompagnement de la marque et la performance des produits.
Nous avons ensuite travaillé certains parcours relationnels stratégiques pour être présent et adresser le bon message à chaque point de contact.
S.D. Je pense notamment à Legrand, sur la campagne Céliane.
Un produit connu de tous les pros, mais qu’il fallait ré-éclairer autrement.
L’enjeu, c’était de redessiner l’expérience des installateurs — pas seulement en termes de message, mais de ressenti, de créer un véritable événement.
On est sortis du discours purement technique pour assumer une vraie posture pour la gamme : impulser la créativité.
Tout a été repensé pour créer un lien plus émotionnel, plus inspirant : le ton, les visuels, les supports pour créer une vraie rupture avec les codes du marché.
Et plus récemment, sur XL³ HP, l’enjeu était différent : comment partir d’un univers très technique de la puissance électrique pour créer un territoire qui se démarque, en affirmant un univers unique, puissant et inspirant, à la fois technique, industriel et presque architectural.
On a prouvé qu’on pouvait parler de tableaux électriques en puisant dans les codes de la puissance pour créer de l’émotion.
Dans les deux cas, on a montré que la création pouvait faire plus que “bien présenter” : elle peut transformer la perception d’une marque. Quand on ose sortir des codes, assumer une vision et une émotion, ça se voit. Et surtout, ça marche — même en BtoB.
#7 – Quelles sont selon vous les grandes évolutions ou tendances qui vont transformer la communication BtoB dans les prochaines années ? Comment dps s’y prépare-t-elle ?
A.D. L’avenir de la communication BtoB va se jouer sur 2 points clés. L’hyper-personnalisation. On va devoir s’adresser à chaque personne de manière unique, pas juste à l’entreprise. L’enjeu, c’est de montrer à un décideur que l’on a bien compris son besoin très spécifique. Chez dps, notre enjeu sera d’utiliser de plus en plus la data pour analyser les signaux des cibles de nos clients et leur proposer des contenus hyper-pertinents. L’expérience immersive. La vidéo et les contenus interactifs explosent. En BtoB, cela nous permet de montrer l’expertise et d’humaniser la marque. Cela doit se traduire par davantage de conseil sur de la création de formats vidéo, d’expériences en réalité augmentée, de plateforme interactive…
Bien sûr, il y a aussi l’IA qui fait évoluer les méthodes de travail et les tendances. L’enjeu pour nous sera de savoir la maîtriser pour en faire un outil efficace permettant de répondre aux grandes évolutions à venir.
S.D. Oui, je suis totalement d’accord avec Amandine. La data, l’IA ou les formats immersifs vont clairement changer la donne, mais le plus important restera la cohérence. Ce qu’on dit, à qui on le dit et où on le dit. Notre rôle, c’est surtout de garder des messages clairs, utiles et bien ciblés, quel que soit le canal.
#8 – Pour conclure, si vous deviez donner un conseil à un annonceur BtoB qui hésite à repenser sa stratégie de communication et ses dispositifs, que lui diriez-vous ?
A.D. Je lui dirais que repenser sa stratégie de communication n’est pas une prise de risque, mais une opportunité : en BtoB aussi, les clients attendent des marques qu’elles leur offrent une expérience claire, cohérente et porteuse de sens. Revoir ses dispositifs, c’est se donner les moyens de mieux écouter, mieux comprendre et mieux engager ses publics, pour bâtir une relation durable fondée sur la valeur et la confiance plutôt que sur le simple discours commercial.
Bref, mon conseil serait de ne pas attendre d’avoir “tout à refaire” pour agir.
S.D. Oui, je partage la vision d’Amandine.
En BtoB, repenser sa communication, ce n’est pas tout changer, c’est simplement se remettre en mouvement et apporter quelques ajustements pour être encore plus puissant.
Les marques ont parfois tendance à figer leur discours, à considérer que leur manière de parler est acquise.
Mais les contextes, les attentes et les canaux évoluent vite.
Reprendre un peu de recul, c’est souvent ce qui permet de retrouver du sens, de la clarté, et surtout une vraie dynamique.
Au fond, ce n’est pas le changement qui est risqué — c’est l’immobilisme.
